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12 janvier 2021

Qui êtes-vous Élisabeth Gervais ?

Une pionnière de l'œnologie

Je n’ai que très peu d’ouvrages anciens traitant du vin des points de vue scientifique et technique et qui fassent la part belles aux femmes. L’un d’entre eux est l’« Opuscule sur la vinification ». Écrit par J.A. Gervais, il fait état d’un procédé qu’il attribue à Élisabeth Gervais, sa sœur. Cet opuscule est paru en 1820, avec deux tirages dont le premier est orné d’une jolie vignette et dont le second, sans vignette, est augmenté de deux lettres de félicitations, dont une de Chaptal.

Nota: le « procédé de Mademoiselle Gervais » est ... « emprunté » à Dom Nicolas Casbois (professeur de physique et membre de l’Académie de sciences de Metz) qui publie à ce sujet dès 1782. Casbois n’est, bien entendu, jamais évoqué par J.A. Gervais.

De quoi s’agit-il ?


De répondre à un problème majeur: la gestion des gaz pendant et après la fermentation alcoolique et les conséquences qualitatives de cette gestion.

S’il omet Casbois, l’Opuscule de Gervais rend un hommage appuyé à Chaptal et cite ses écrits dans le Dictionnaire de l’Agriculture coordonné par l’Abbé Rozier:
« Si le vin fermenté dans des vases fermés est plus généreux et plus agréable au goût, la raison en est qu’il a retenu l’arôme et l’alcool qui se perdent en partie dans une fermentation qui se fait à l’air libre; car outre que la chaleur les dissipe, l’acide carbonique les entraîne dans un état de dissolution absolu.
Le libre contact atmosphérique précipite la fermentation et occasionne unegrande déperdition des principes en alcool et arômes, tandis que, d’un autre côté, la soustraction de ce contact, ralentit le mouvement, menace d’explosion et de rupture, et la fermentation n’est complète qu’à la longue. »
Il faut donc, nous dit Gervais, permettre au gaz carbonique de s’échapper pendant la fermentation alcoolique (mais aussi pendant la fermentation insensible), et «conserver au vin tout son bouquet» tout en limitant les pertes d’alcool.

Le but est de préserver et même d’augmenter la qualité du vin. Pour cela le procédé de Mademoiselle Gervais associe deux idées lumineuses :

- protéger le vin de l’oxygène qui dégraderait sa qualité,
- récupérer et ré incorporer au vin les facteurs de qualité (alcool et arômes) qui sans cela auraient été perdus dans l’air atmosphérique. Cette réincorporation étant effectuée par passage dans la vendange elle permet, de surcroît, d’apporter de la couleur au vin.


Il s’agit de «garantir [la masse fermentaire] de l’influence très variable de l’atmosphère pendant l’automne.../... de prévenir l’acidité du chapeau de la vendange.».


Pour Chaptal, Élisabeth Gervais a rien moins que « résolu un des problèmes les plus importants de l’oenologie ».


Les esprits chagrins observeront que parmi les membres du Conseil d’Administration de la « Société pour l’amélioration des procédés de vinification, ayant pour objet l’exploitation des brevets d’invention accords à mademoiselle Gervais», on trouve le Comte Chaptal lui-même (ainsi que le Vicomte Chaptal, son fils).

 

Puisqu’il s’agit de rendre hommage aux femmes j’en profite pour féliciter à nouveau deux jeunes femmes très actuelles (Marine Maugey, de l’atelier de Barennes, à Cadarsac www.atelier-reliurebarennes.com/ et Sylvie Constantin, de Fabullabulles sco.odexpo.com/) qui ont conçu et réalisé un boitier de conservation très malin et très beau qui protège désormais différents documents relatifs au procédé de Mademoiselle Elisabeth Gervais.



Merci à André Fuster, "ami des oenologues de Bordeaux", membre de la commission technique, auteur du blogVitineraires